Amoureuse des couleurs, ma découverte avec la teinture naturelle m’a totalement bluffé. Je n’ai eu qu’une envie ensuite : porter des couleurs végétales, plus vivantes et surtout plus saines pour la peau. Au delà d’être une technique, la teinture est aussi conteuse d’histoires, de traditions culturelles d’hommes et de femmes interconnectés à la nature.
La teinture végétale nous offre alors cette possibilité de retour vers l’essentiel, en reliance avec la Terre. Elle est notamment un pas vers plus de reconnaissance de ce patrimoine vivant et vers sa préservation. A travers cet article, je souhaite vous montrer toute sa beauté afin de vous donner aussi l’envie de privilégier la teinture naturelle.
Les quelques raisons pour lesquelles il est bon de privilégier la teinture naturelle :
- Ce qui est bon pour l’environnement est bon pour nous, notre santé et notre peau. Le processus de teinture se fait sans produits toxiques, dans le minimalisme et la simplicité. Il n’y a pas d’ennoblissement complexe faisant usage de produits chimiques comme le blanchiment.
- La magie de créer des nuances uniques avec ce que nous avons sous la main. S’émerveiller des couleurs nées de la nature qui n’ont rien à envier à la teinture industrielle, plus belles, plus vivantes et plus proches de nous. Avec seulement une plante (différentes variétés peuvent donner d’autres nuances) ou en superposition, nous pouvons créer une palette surprenante et à l’infini. Bien qu’il y ait des règles à suivre, des dosages précis, d’autres paramètres en dehors de notre pouvoir agissent sur la couleur. Ce qui fait toute la beauté et l’unicité de ces teintes !
- Un savoir-faire millénaire à préserver en France et ailleurs, faisant partie de notre patrimoine culturel vivant. Les maîtres teinturiers connaissent parfaitement les techniques, les propriétés des plantes et les recettes. Transmis de génération en génération, cette technique manuelle demandant précision est le fruit d’un long travail de recherche par des experts. Et elle n’a pas fini de nous dévoiler ses mystères.
- Les vertus des plantes transmises par les matières teintes naturellement apportent bien-être et confort à notre peau. En plus d’être adaptés aux peaux sensibles, les tissus teints aux plantes peuvent aussi avoir des propriétés hypoallergéniques et anti-microbiennes. En effet, “80% des plantes tinctoriales ont des vertus médicinales”, selon Dominique Cardon, chercheuse au CNRS. Exemple avec l’indigo utilisé comme répulsif à moustiques, protection UV ou bien le curcuma comme anti-inflammatoire et cicatrisant.
- Se réapproprier des connaissances sur les plantes pour un art de vivre plus écologique. Aujourd’hui, nous vivons dans une ère dans laquelle nous ressentons un besoin urgent de trouver plus de sens dans nos vies, d’introduire plus de spiritualité. Les plantes peuvent nous amener à cette connexion à notre essence (comme le faisaient les peuples indigènes). Toucher le vivant permet de développer nos sens et notre sensibilité afin de mieux protéger la nature. Comme le dit Francis Hallé, célèbre botaniste, qui parle de retrouver une reconnexion émotionnelle avec la nature, “on protège mal ce qu’on ne connaît pas”.
Avant l’émergence de la chimie et des colorants au 19e siècle, la teinture des vêtements et textiles se faisait uniquement grâce à des ressources naturelles. Des plantes mais aussi des insectes, mollusques, lichens, champignons possédent des propriétés colorantes.
Au cours de l’histoire des teintures végétales datant de plus de 5000 ans, les hommes ont expérimenté les ressources de leur environnement pour teindre. Elles devinrent très prisées dans le monde antique et médiéval. Certaines plantes ont été désignées comme principales sources pour la teinture textile fournissant des couleurs vives et solides. A cet effet, elles furent cultivées, récoltées et acheminées vers les ateliers de teinturerie.
Du naturel à la synthèse
La production des colorants naturels et leurs échanges furent un enjeu majeur pour la teinturerie. Le commerce autour de la Méditerranée et avec l’Asie (notamment par la route de la soie), puis la découverte de l’Amérique, et enfin la période coloniale amènent l’introduction de nouvelles sources de colorants en Europe : indigotiers, henné, bois rouge, bois de campêche… Ces teintures et notamment des tissus à motifs créés à l’aide de ces techniques constituaient des marchandises importantes pour les économies d’Asie et d’Europe.
L’exploitation des colorants naturels restera très importante jusqu’au milieu du 19e siècle jusqu’à ce que les chimistes parviennent à copier de façon artificielle les molécules colorantes présentes dans les plantes. Par exemple, l’alizarine de la garance deviendra de synthèse et sera très rapidement produite à plus grande échelle. Ces colorants synthétiques vont prendre le pas sur les ressources végétales, entraînant la disparition rapide de leurs usages au début du 20e siècle.
Dans la teinture industrielle, les fibres et les tissus sont d’abord blanchis avant de recevoir leur coloris définitif ce qui entraîne un impact sur l’environnement.
L’opération de blanchiment se fait au chlore qui se combine avec des molécules organiques contenues dans les sols, l’eau et l’air. Le chlore est insoluble dans l’eau et peu biodégradable. Il est donc absorbé par les plantes et les animaux.
L’étape de teinture engendre les mêmes conséquences sur l’environnement avec des produits chimiques et des colorants composés de métaux lourds, de solvants chlorés, d’acides, etc. “Elle est donc nuisible pour la santé car ces substances sont susceptibles de libérer des amines cancérogènes“, selon Greenpeace.
D’autres substances dangereuses interviennent également à différentes étapes de la fabrication des vêtements (transformation du fil en tissu avec de la graisse, cire, sablage du denim, etc.). Ces produits sont rejetés dans les eaux usées des ateliers de fabrication et se répandent dans la nature et les cours d’eau. “Le cas en Chine où environ 40% des rivières chinoises sont gravement polluées et 20% le sont à un niveau toxique pour la santé“.
Les teintures synthétiques sont nocives pour l’environnement (rejets des déchets toxiques, pollution des eaux…) et pour la santé des ouvriers qui sont en contact direct avec ces produits. Mais ceux-ci ne disparaissent pas après la production et le lavage. En effet, ils imprègnent bien nos vêtements qui sont en contact avec notre peau. “Rien que pour les colorants, on recense environ 2000 produits « potentiellement toxiques ». Sur ce nombre un peu moins d’1/5ème ont été analysés en toxicologie et près de la moitié d’entre eux se sont révélés toxiques.”
Perturbateurs endocriniens, métaux lourds et nanomatériaux, certaines de ces substances sont interdites, d’autres règlementées. La solution est donc de privilégier la teinture naturelle ou la teinture sans colorants azoïques afin de limiter les produits toxiques.
Ce sont tout simplement des couleurs issues du monde végétal (plantes, écorces, feuilles, déchets organiques, minéraux, coquillages…). A l’inverse des teintures synthétiques, elles sont 100% biodégradables. Elles sont donc exemptes de produits toxiques car elles sont issues de plantes et ne présentent donc aucun danger pour la santé.
La teinture végétale fait partie des plus beaux savoir-faire textiles au monde car les couleurs sont inégalables. Une plante n’offrira jamais les mêmes nuances. En effet, celle-ci dépendra de sa façon d’être cultivée (climat, terre, lieu de culture…), de la partie de la plante utilisée pour teindre ou de la méthode de teinture. Chaque pièce teinte est alors unique et vivra différemment tout au long de son cycle. Au fur et à mesure de son usage, la couleur changera pour prendre un nouvel éclat, une nouvelle vie.
Pour des teintes de longue durée, on utilise le plus souvent les plantes dites “grand teint”, c’est-à-dire résistantes à la lumière et au lavage. Une douzaine de plantes sont utilisés pour leur capacité de résistance. Elles peuvent se superposer entre elles pour pouvoir créer une palette infinie de teintes.
Plantes “grand teint” : indigotiers (persicaire, pastel des teinturiers…), garance, peau de grenade, réséda, cochenille, rhubarbe, cachou, plantes à tanins…
Plantes “petit teint” (moins solide, résistance plus faible à la lumière et au lavage) : curcuma, œillet d’inde, bois de campêche, coréopsis, baies…
Les nombreuses vertus des plantes
Les plantes tinctoriales desquelles sont issues les couleurs végétales sont pour la plupart médicinales. Par contact direct avec la peau, des plantes telles que le curcuma ou l’indigo influent sur notre peau. L’indigo filtre les UV et le pastel a des propriétés cicatrisantes. Cependant, il n’existe pas encore de recherches scientifiques traitant des vertus médicinales de la teinture végétale. Mais il est certain qu’elle a bien des effets positifs : contre les problèmes de peau, d’allergies, non nocive pour la santé et l’aspect de bien-être ressenti…
Allez découvrir plus en détail le processus de la teinture sur cette page Processus.
En conclusion, cassons les idées reçues de la teinture naturelle :
- elles tiennent dans le temps : certaines plantes appelées “grand teint” sont solides à la lumière et au lavage. L’Homme a fait en sorte de choisir les plantes les plus intéressantes afin de développer le commerce de textiles. En effet, des tapisseries anciennes teintes naturellement sont aujourd’hui exposées aux musées, montrant bien qu’elles ont tenu dans le temps. Visitez la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson, c’est grandiose !
- à condition de bien suivre les conditions d’entretien et de lavage : les couleurs naturelles sont vivantes, c’est pourquoi elles demandent une attention particulière. Laver à la main, à froid avec une lessive écologique au pH neutre afin de ne pas modifier le coloris. Faire sécher à l’abri du soleil et repasser à basse température 🙂
- une palette de couleurs infinies et incomparables : contrairement à ce qu’on pourrait penser, la nature nous offre une belle palette de couleurs que l’industrie ne peut recréer. On ne peut certes pas avoir des teintes fluos mais on obtient tout de même des nuances très colorées. Selon la recette, le temps de trempage, la qualité de la ressource, le pH de l’eau, la plante offre une gamme de nuances incomparables allant des plus subtiles au plus vives.
- elles sont biodégradables : les ingrédients sont naturels donc 100% biodégradables contrairement à la teinture industrielle qui rejette des produits chimiques. Nous pouvons recycler les eaux de teinture afin de les réutiliser. Même le vêtement dont la matière est 100% naturelle et teinte aux plantes peut être recyclé ou mis au compost (dixit Lise Camoin, artisane teinturière dans le podcast “Où est le beau?”) !
Notons que la teinture naturelle reste pour l’instant à l’échelle artisanale et ne peut s’étendre à une production de type industrielle. D’autre part, cela montre toute l’importance de changer notre rapport à la mode si on met au centre du processus de fabrication et de notre consommation, l’écologie et le social. Consommer moins mais mieux en choisissant des pièces saines, respectueuses de notre peau et de la planète. Mettre en avant l’humain et l’artisan qui est respecté pour son travail et son savoir-faire. Prendre conscience que chaque chose faite par cette personne, en lien avec la nature, a une valeur unique.
J’espère qu’avec toutes ces raisons, vous allez avoir envie de découvrir la teinture et de la porter sur votre peau ! Si d’autres arguments ou questions vous viennent, n’hésitez pas à me le faire savoir.
Sources :
- Greenpeace, rapport Les dessous toxiques de la mode
- Article Le Monde, Le fléau de la pollution des rivières chinoises
- Fibre Bio, Top 5 des substances chimiques qu’on retrouve dans nos vêtements
- Qu’est-ce qu’on fait ?, infographie “La mode sans dessus dessous”
Pour aller plus loin sur la teinture naturelle :
- Podcast Où est le beau ?, interview de Lise Camoin, artiste teinturière
- Livre Le monde des teintures naturelles, Dominique Cardon
- Livre Guide des teintures naturelles, Marie Marquet
- Livre Teintures végétales, Aurélia Wolff
- Article sur Socialter, La teinture végétale peut-elle verdir la mode ?